- LOT (F.)
- LOT (F.)LOT FERDINAND (1866-1952)Archiviste-paléographe, Ferdinand Lot ne passa jamais l’agrégation, à laquelle il était violemment opposé, la traitant de bachotage supérieur. Il écrivit en 1906 et 1912 des pamphlets contre l’organisation de l’enseignement supérieur qu’il comparait au sérieux des «séminaires» allemands. Cela lui valut l’inimitié de certains collègues, en particulier d’Ernest Lavisse. On lui doit l’introduction dans les licences de certificats; jusque-là, le candidat pouvait être interrogé sur n’importe quel sujet. Il innova aussi en introduisant dans la licence d’histoire les travaux pratiques (paléographie, critique des textes).Ferdinand Lot passa sa thèse de doctorat à Nancy en 1903 avec les Études sur le règne de Hugues Capet (la thèse complémentaire étant Fidèles ou vassaux? ), et ce fut la première fois qu’une thèse fut soutenue en français. Auparavant, toutes les thèses étaient rédigées en latin, ce qui convenait mal à l’étude de concepts complètement nouveaux, tels ceux de vassalité et de féodalité!L’œuvre capitale de ce spécialiste du haut Moyen Âge est La Fin du monde antique et le début du Moyen Âge (1927). L’auteur y expose la décomposition du monde romain dont, selon lui, la vie économique avait été faussée par le principe de l’esclavage, qui ne pouvait lui apporter aucune prospérité. Au IVe siècle, son régime économique reposait sur l’impôt foncier en nature (en blé principalement) — système tout à fait archaïque. Selon lui, l’installation de Barbares dans l’Empire romain, loin d’apporter du sang neuf, ne fit qu’aggraver la corruption des mœurs.D’autres études (Histoire des invasions barbares et le peuplement de l’Europe et Les Invasions germaniques. La pénétration mutuelle du monde barbare et du monde romain ) font une grande part au problème des ethnies et de l’onomastique.Ferdinand Lot était également très préoccupé de démographie et d’histoire quantitative: Premier Budget de la monarchie française: le compte général de 1202-1203 (1932); Recherches sur la population et la superficie des cités remontant à l’époque gallo-romaine (1950, 1951).La pensée historique de Ferdinand Lot donne toute sa mesure quand elle s’applique à la féodalité: Fidèles ou vassaux? ; contribution à Histoire du Moyen Âge ; Les Destinées de l’Empire d’Occident de 395 à 888 , Paris, 1940-1941; le compte rendu de La Société féodale de Marc Bloch (1939-1940). Pour lui, la féodalité est un phénomène spécifique de l’Occident médiéval qui comporte l’appropriation par le seigneur suzerain des droits régaliens et le partage de la propriété des terres entre suzerain et vassaux. À propos du terme de société féodale employé par Marc Bloch, Ferdinand Lot écrit: «En employant les mots féodal , féodalité à tort et à travers, les historiens vident ces mots de tout sens spécifique. Mieux vaudrait dire simplement: «la société dans l’Europe occidentale depuis le Xe siècle, date de naissance de ce phénomène encore mal défini.»De lointaine ascendance bretonne, Ferdinand Lot s’était passionné pour les romans de la Table ronde. Il a laissé une étude sur le Lancelot en prose qu’il considère comme le premier grand roman français: Études sur les légendes épiques françaises (1958) qui donna lieu à une polémique avec Joseph Bédier sur un problème de datation.Dans un article («À quelle époque a-t-on cessé de parler latin? », in Bull. du Cange . t. VI, 1931), il distingue entre langue parlée et langue écrite à l’époque mérovingienne (dès cette époque, seuls les clercs auraient continué à parler latin; mais le peuple pieux le comprenait, l’alphabet étant enseigné à partir du latin de La Vulgate ).Venons-en maintenant à l’originalité des vues de Ferdinand Lot sur l’histoire. Dans son compte rendu d’Histoire et destin de Roupnel (Paris, 1943), Ferdinand Lot écrit: «L’Histoire, c’est le discontinu. Roupnel veut nous persuader de l’insignifiance des individus, de l’importance exclusive des modes de vie, en particulier de la vie rurale. À ses yeux, l’Histoire est d’autant plus vraie qu’elle est moins «historique», entachée de faits. Ce qu’il appelle les «éléments perturbateurs» nous sont familiers, à nous historiens : ce sont les inventeurs en science, en politique, en art, en lettres. Nous voici absous du péché de nous intéresser à ces surhommes qui tirent l’événement de l’abîme.»Ferdinand Lot s’est élevé nettement contre le matérialisme historique, en particulier dans un article intitulé «Interaction de l’économique et du politique au Moyen Âge» (in Recueil des travaux historiques de Ferdinand Lot , t. I, p. 478, 1968): «La caractéristique des règnes des souverains de France, c’est leur totale indifférence aux conséquences de leur politique. L’économique ne les intéresse que pour soutenir une guerre. [...] Je limite mon jugement à la France. Il en a été différemment à Venise. Parmi les grandes puissances, l’Angleterre est la première, dès la fin du XVIe siècle, à sentir que la question économique est vitale pour elle. Ce qui a mené le monde, ce qui a déterminé les événements majeurs, les grandes découvertes, ce sont les idées et les états affectifs, les mentalités.»De façon générale, Ferdinand Lot pense qu’il faut décloisonner l’histoire : lui-même a utilisé des connaissances tirées de la biologie, des mathématiques, de l’art, de la sociologie, de la philosophie. Il ne s’interdit pas parfois de porter des jugements d’ordre éthique, persuadé que l’historien ne doit pas être neutre, mais soutenir des points de vue qui provoquent la recherche. Pour lui, l’imagination, alliée à la critique des textes, joue un rôle essentiel pour reconstruire le passé; ainsi dans La Gaule (1967), un de ses derniers ouvrages de synthèse, il décrit les bruits du moulin, de la charrue que les contemporains de Clovis pouvaient percevoir.Pour lui un professeur d’université devait faire profiter ses étudiants de ses travaux, et l’enseignement qu’il préférait était celui qu’il donnait à l’École pratique des hautes études et auquel il faisait participer activement ceux qui s’appelèrent ses «disciples» (F. Ganshof et R. Fawtier, entre autres).Érudit mais aussi homme de synthèse et de conceptions originales, Ferdinand Lot n’a appartenu à aucune école, se méfiant de toutes les théories.
Encyclopédie Universelle. 2012.